Interview avec le syndicat Unia
Pourquoi avoir choisi de travailler sur le commerce en ligne?
Année après année, le commerce en ligne occupe des parts de marché toujours plus importantes du commerce de détail. Les 10% ont été largement dépassés. La pandémie a encore accéléré ce changement structurel. Plus exactement, nous devrions parler de commerce multicanal, qui implique autant un service de vente en ligne pour les magasins stationnaires que la transformation de détaillants en ligne en place de marché où des commerces stationnaires proposent leurs produits. Logiquement, ce secteur occupe toujours plus de personnes. Si une partie du commerce de détail stationnaire est syndicalement organisée et dispose de conventions collectives de travail, la chaîne de logistique – qui implique la préparation des commandes (en dépôt ou en magasin), le transport et le service après-vente (retours) – est encore peu organisée syndicalement et peu régulée. Et lorsqu’il existe des réglementations, elles sont clairement insuffisantes. C’est le nouveau domaine des travailleurs et travailleuses précaires, sous-payé·e·s, ultra-flexibles, qui ont très peu de garanties de revenus et sont soumis·e·s à énormément de stress et de risques pour leur santé. Il est donc logique que nous nous en occupions.
Dans la logistique, quels sont les problèmes qui vous inquiètent le plus?
Nous constatons de graves problèmes sur le plan des salaires, d’heures de travail non payées, d’une grande flexibilité des horaires (les employé·e·s savent quand commence leur journée de travail mais pas quand elle se termine), de manquements concernant la protection de la santé avec des violations de la loi sur le travail (journées trop longues, sans pauses, prise de risque dans le trafic pour réussir à effectuer les livraisons à temps, rythmes de travail très intenses), de sous-traitance et du recours au travail temporaire avec des contrats précaires et flexibles. Tous ces facteurs sont dus à une pression sur les coûts extrêmes qui se répercute sur le bout de la chaîne, à savoir sur les employé·e·s.
Le commerce en ligne peut-il également entraîner des conséquences positives? Les choses ont-elles tendance à s’améliorer?
Le commerce multicanal peut être une chance pour le personnel de vente d’élargir ses qualifications et ses compétences. Cette transition doit toutefois être accompagnée de mesures de formation et récompensée sur le plan salarial. C’est une branche où les salaires restent bas.
À quoi reconnaît-on qu’un commerce en ligne se montre plus responsable, dans la logistique?
Il doit respecter les libertés syndicales et d’association des travailleurs et travailleuses. Il devrait conclure une convention collective de travail avec des minima corrects, notamment des salaires qui permettent aux employé·e·s de subvenir à leurs besoins, une sécurité des revenus et des horaires supportables et prévisibles. Il devrait aussi être solidairement responsable de ses sous-traitants et obliger ces derniers à respecter les mêmes standards. De manière générale, moins il y a de sous-traitants et de travail temporaire, meilleures sont les conditions de travail.
Que peuvent faire les autorités politiques pour améliorer les conditions de travail dans la logistique?
Il est nécessaire de mieux protéger les travailleurs et travailleuses de la logistique, d’entreprendre des contrôles et d’appliquer les lois existantes de manière plus stricte. Les sanctions en cas de violation du droit du travail doivent aussi être plus sévères. L’inspection du travail doit se montrer plus proactive et recruter davantage de personnel. Des mesures décisives devront être prises à l’encontre des plateformes qui contournent les lois. Chez DPD ou DHL, par exemple, nous avons pu constater un recours à des sous-traitants qui travaillent sous leurs couleurs, mais dont les contrats de travail sont signés par de très petites entreprises : ce genre de pratiques est à bannir. Une pression politique est nécessaire pour permettre la signature de conventions collectives capables de réglementer les conditions de travail dans les faits. Lorsque des conditions minimales officielles sont déjà en vigueur, comme c’est le cas pour La Poste, celles-ci doivent être améliorées pour garantir un travail décent. Le salaire minimum est aujourd’hui de 18,27 francs suisses de l’heure pour une semaine de travail de 44 heures. De petits amendements des lois pourraient suffire à limiter le recours à des employé·e·s faussement considéré·e·s comme indépendant·e·s. Une responsabilité solidaire forte doit s’appliquer en cas d’infractions commises par des sous-traitants afin d’éviter que les donneurs d’ordres ne poursuivent leur rêve de centrales logistiques gigantesques sans aucun emploi direct. Les travailleurs et travailleuses doivent pouvoir se défendre sans craindre la répression: pour y parvenir, il faudra renforcer les droits syndicaux dans les entreprises et renforcer drastiquement la protection contre le licenciement.